Aucune activité économique sérieuse dans ce monde ne s’est réalisée sans argent. Cette affirmation traduit à suffisance l’importance du financement pour la vie d’une entreprise, partant de la phase création, au fonctionnement. Or, moultes barrières empêchent aux PME et aux startups d’être à la hauteur de leurs aspirations.
Pour contourner le difficile accès aux modes classiques de financement, dont le plus répandu est le prêt bancaire, les acteurs du secteur économique ont trouvé une alternative pour répondre à leurs besoins : Il s’agit du Crowdfunding, un terme anglais qui signifie littéralement « financement par la foule »
Pour Jean LEFEBVRE, le Crowdfunding ou financement participatif est perçu comme un mode de financement utilisé par des porteurs de projet qui sollicitent des fonds auprès d’investisseurs, les uns et les autres étant mis en relation grâce à un intermédiaire officiant depuis une plateforme sur internet.
L’expansion que connaît de nos jours le Crowdfunding dans l’univers des affaires, grâce au développement des TIC, suscite des interrogations dans la communauté des juristes. C’est notamment le cas des enjeux et risques que peut revêtir une telle activité à l’égard des acteurs qui l’animent. Cet état de choses interpelle davantage les autorités publiques à mettre en place un corpus de règles juridiques afin de parer à toute sorte de menaces inhérentes à ces opérations. Si sur d’autres cieux le Crowdfunding bénéficie d’un cadre juridique adéquatement ficelé, à l’exemple de la France qui dispose d’un texte spécial (l’Ordonnance du 31 mai 2014 relative au financement participatif et ses textes d’application), les pays membres de l’OHADA en général et ceux de la CEMAC semblent être à la traine sur cette question. Au regard de ces précédentes affirmations, une question demeure : le Crowdfunding est-il appréhendé par le droit applicable dans l’espace OHADA ?
La réponse à ce questionnement appelle à une réflexion, sur le plan règlementaire (I), celui institutionnel (II), et enfin celui opérationnel (III) du financement participatif ou Crowdfunding. Il est utile de préciser que l’analyse sera axée sur l’OHADA et la CEMAC en général, et sur le droit camerounais en particulier.
Toute activité exercée au sein d’un Etat devrait être encadrée par les pouvoirs publics, afin de garantir la sécurité juridique des intérêts des principaux acteurs concernés. Le Crowfunding en plein essor ne déroge pas à cette règle. Dans la zone OHADA et CEMAC, la finance participative est malheureusement encadrée de façon laconique (A), réconforté par l’inexistence d’une législation nationale appropriée (B).
Dans le contexte de l’OHADA en général (1) et de la CEMAC en particulier (2), on pourrait regretter l’éparpillement du dispositif juridique en matière de financement participatif.
Concernant l’OHADA, il y a lieu de se référer à l’Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et des GIE (AUDSCGIE) qui, en réalité n’évoque pas de façon explicite le Crowdfunding. On peut le constater par une lecture minutieuse dudit texte, pour comprendre que certaines de ses dispositions traitent de manière très évasive, voire indirecte de la finance participative, en occurrence :
En droit communautaire de la CEMAC, le financement participatif tombe sous l’empire d’une réglementation inadaptée. En effet, les textes pris pour référence ne sont pas en parfaite adéquation avec les réalités du crowdfunding. Le texte indiqué dans l’espace communautaire est le Règlement n°01/22/CEMAC/UMAC/CM/COSUMAF, du 21 juillet 2022 portant organisation et fonctionnement du marché financier de l’Afrique centrale. On peut citer quelques-uns de ses articles, à savoir :
Par ailleurs, on peut également prendre comme source juridique du crowdfunding, le Règlement CEMAC du 21 décembre 2018 relatif aux services de paiement dans la CEMAC, dans son article 1, qui fixe les conditions d’exercice et de contrôle des services de paiement dans la CEMAC.
En tout état de cause, il faut dire une fois de plus que même les textes suscités ne régissent pas de manière précise le Crowdfunding. Cette activité présente des originalités différentes de celles encadrées par lesdits textes. C’est le cas du règlement du 21 juillet précité.
Sur le plan local, le financement participatif ne fait pas l’objet d’une règlementation spéciale, il tombe sous le prisme du Code civil de 1804 encore curieusement applicable au Cameroun. Plus précisément dans ses dispositions relatives au droit commun des contrats, à savoir les articles 6 ; 1108 ; 1134 ; 1165 ; 1142 ; 1147 et 1149. Il faut ajouter la théorie générale de la responsabilité civile.
Le législateur national gagnerait à emboiter le pas à son homologue français, qui a encadré de manière exacte le Crowdfunding à travers l’Ordonnance 31 mai 2014 relative au financement participatif et ses textes d’application. Les Etats membres de l’OHADA, CEMAC à défaut d’une législation propre en la matière, pourrait chacun innover.
Il convient de distinguer ici deux types d’institutions, d’une part les organes de régulation (A), et d’autre part les professionnels du Crowdfunding (B).
Le Crowdfunding étant appréhendé comme mode de financement par lequel le porteur de projet fait appel au public pour le financement de son projet, il est de facto soumis à la compétence de la COSUMAF. L’article 19 (5) du Règlement du 21 juillet précité énumère les organismes placés sous le contrôle de la COSUMAF, à l’instar des conseillers en investissements financiers et en financement participatif. Cette institution est dotée de certains pouvoirs : pouvoir règlementaire, pouvoir disciplinaire et pouvoir de contrôle.
Sur le plan national on a le MINFI, l’ANIF et les juridictions chargées de sanctionner toutes les infractions commises dans le cadre des opérations du Crowdfunding.
On peut classer les professionnels du Crowdfunding en trois catégories d’acteurs :
Les opérations du financement participatif se matérialisent par un accord juridique, dont il convient de déterminer la nature (A), avant d’évoquer les obligations et droits des parties concernées (B), ainsi que les risques de ce type de financement (C).
Selon Gérard CORNU, le pacte d’actionnaires est une convention extra-statutaire aux termes de laquelle les associés d’une société s’accordent licitement sur les ventes à venir de leurs titres, soit à des tiers, soit entre eux, par une clause de préemption réciproque, ou sur les modalités de leur vote dans les assemblées générales. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’article 2-1 AUDSCGIE qui dispose en ce sens que : « Sous réserve du respect des dispositions du présent Acte uniforme auxquelles il ne peut être dérogé et des clauses statutaires, les associés peuvent conclure des conventions extrastatutaires en vue notamment d’organiser, selon les modalités qu’ils ont librement : les relations entre associés ; la composition des organes sociaux ; la conduite des affaires de la société ; l’accès au capital social ; la transmission des titres sociaux. ». Il s’agit ici de la flexibilité de la liberté contractuelle dans les sociétés commerciales de l’OHADA.
Relativement au compte courant d’associé, il faut signaler qu’il ne fait l’objet d’un encadrement juridique spécifique par le législateur OHADA. Il s’agit d’un financement à moyen ou court consenti par les associés au profit de la société dont ils sont associés. L’apport en société ne doit toutefois pas se confondre avec l’apport en compte courant. Le compte courant offre des avantages que l’apport en société n’est pas en mesure de proposer. Par exemple, l’associé apporteur en compte courant pourra toucher une rémunération même si la société ne réalise pas de bénéfice, en jouissant de véritables garanties en tant que créancier et pourra, en principe, obtenir à tout moment remboursement du solde.
Suite à cette clarification, il s’aperçoit que le financement participatif s’accommode plus, ou du moins est compatible avec le pacte d’actionnaires ou d’associés.
La convention de financement participatif est un contrat synallagmatique qui met à la charge des parties des obligations réciproques (1), tout en consacrant leurs droits (2).
Il ressort d’ailleurs de l’article 1134 du C. civ. Précité que : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». Cette disposition invite les cocontractants à exécuter de bonne foi et avec loyauté le contrat.
Dans la même logique, l’article 1135 dispose que « Les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ».
L’accord de financement offre certains droits :
Les risques liés au financement participatif peuvent être de divers ordres, certains menacent les intérêts des parties prenantes (1), alors que d’autres ont une portée générale (2).
Toute partie victime de l’inexécution des clauses du contrat de financement peut engager la responsabilité civile contractuelle sur le fondement des articles 1142, 1146 et 1149 du Code civil, qui disposent respectivement que : « Toute obligation de faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur ».
Dans la même veine, l’article 1146 du Code civil dispose que : « Les dommages et intérêts ne sont dus que lorsque le débiteur est en demeure de remplir son obligation, excepté néanmoins lorsque la chose que le débiteur s’était obligé de donner ou de faire ne pouvait être donnée ou faite que dans un certain temps qu’il a laissé passer ».
L’article 1149 Cc dispose que : « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé… ». Ceci dit l’investisseur dans un pacte de financement peut se référer à cet article.
La responsabilité d’une partie au contrat de financement peut également être engagée sur le fondement de l’article 1382 du CC, qui dispose que : « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Il faut noter que le financement participatif présente également une réelle menace pour la société qui bénéficie du financement. En réalité, dans certaines circonstances il peut arriver que l’investisseur apporte une somme importante supérieur au capital dont dispose la société bénéficiaire, le risque dans ce cas est de voir celle-ci absorber par ce dernier. L’investisseur peut contrebalancer les décisions du dirigeant si le contrat de financement manque de certaines clauses de direction.
Le financement participatif des entreprises présente aussi quelques menaces pour l’intérêt général, lesquelles sont plus évidentes lorsque les fonds sont collectés à travers une plateforme intermédiaire (un site internet). Un tel financement peut ouvrir la porte à la délinquance financière à travers le financement du terrorisme et au blanchiment des capitaux. Il s’agit d’un terrain propice à certains bandits à col blanc. Ceux-ci trouvent une opportunité pour blanchir leurs fonds obtenus de façon injustifiée ou illicite.
CONCLUSION
Au terme de cette brève réflexion sur le régime juridique du financement participatif ou du crowdfunding dans l’espace OHADA, il s’est avéré que ce financement alternatif de plus en plus prisé et adapté aux besoins des TPE, PME et Start-up, n’est pas encadré de façon adéquate dans l’espace OHADA. Cette réalité est justifiée tant par l’éparpillement du dispositif juridique que par l’inexistence d’un texte spécial en la matière, comme c’est le cas ailleurs. Cet état de choses suscite des inquiétudes sur la sécurité juridique des acteurs de ce mode de financement et invite par conséquent les pouvoirs publics à mettre en place une législation appropriée.
©B&P Lawfirm et Dr. AKO’O Diderot (Juriste -collaborateur)